Relecture Emmaüs Luc 24, 13-35 (père Bertrand DELCEY)

Classé dans : COVID-19, Evenements, Liturgie | 1

    Bonjour à toutes et à tous !
    Pour ce 3ième dimanche de Pâques nous retrouvons le récit des disciples d’Emmaüs. (Luc 24, 13-35). Plutôt que de tenter de rédiger une homélie, je vous propose cette démarche de relecture qu’il permet ; c’est une approche classique, à vivre bien sûr en phase avec le contexte ! C’est aussi une manière de nous mettre en communion avec les personnes détenues de la Maison d’Arrêt et tous ceux qui y travaillent, car je me suis inspiré de la circulaire envoyée par l’équipe de « mon » bâtiment, à ceux qui participent ordinairement à la messe. Je vous propose d’alterner la lecture du texte évangélique, et les commentaires, en prenant une pause entre chaque, voire un temps d’échange si vous êtes plusieurs. Désolé pour la longueur, encore une fois je n’ai pas pris le temps de faire court !
    Bien fraternellement,

Bertrand Delcey, prêtre du secteur pastoral du Val d’Orge

    Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé. Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître

 

    Jésus s’approcha et ils ne le reconnaissent pas
Ils sont tellement abattus, minés par leur tristesse, leur déception, qu’ils ne peuvent voir autre chose… Et nous, en ces temps compliqués ? Que sommes-nous capable de voir… seulement les difficultés et les manques ?? Et nous avons le droit de pousser ce cri, comme le psalmiste : « Où donc est Tu, Seigneur ?! »

   Quels événements ?
N’espérons pas faire l’expérience, la rencontre du Ressuscité, hors de nos vies ! et, comme St Thomas qui voulait mettre les mains dans ses plaies, rappelons-nous que Jésus est aussi passé par la Croix, par amour et par fidélité.

 

 

         Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » Il leur dit : « Quels événements ? »
Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »

 

 

 

    Ce qui est arrivé…
Comme les disciples, prenons le temps de poser des mots sur ce qui nous marque, nous affecte ; questionne, voire révolte ; et n’étouffons pas les réactions de notre corps (larmes, envie de taper… sur un matelas !) ; osons balbutier en cherchant nos mots et accueillir les balbutiements des autres…

       Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.

 

 

   Il leur explique avec l’Ecriture….
Pas de « recette » toute faite dans la Bible… mais une Histoire de Fidélité de Dieu à son Peuple… et aussi cette boussole qu’en toute situation, Dieu nous appelle et nous aide à faire et à accueillir le Bien… si modestes soient nos gestes, pour les autres ET pour nous-mêmes. En ces temps-ci, quelle phrase ou texte de la Bible résonne ainsi en moi comme une Parole de Vie ? Comment « éduque »-t-elle mon regard sur les événements, sur les autres, sur moi-même ?

 

    Reste avec nous….
Certes les deux disciples sont sans doute heureux à l’idée de poursuivre la conversation avec cet inconnu, mais leur invitation est marquée aussi par la gratuité… Pour nous c’est un appel à prendre le temps de lire les évangiles non pour y trouver de solutions toutes faites, ni même une somme d’idées généreuses, mais comme une fréquentation gratuite de Jésus-Christ… Par cette proximité de chaque jour, Son Esprit me fera regarder, écouter, parler et agir (et parfois ne rien faire ou me taire !) un peu plus comme Lui

 

Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. »

Ils le reconnurent à la FRACTION
« Jésus-Christ Pain rompu pour un nouveau ». Rompu pour être donné et partagé, comme sa vie, comme ses Paroles, comme Son Esprit et sa relation au Père (… « Notre Père… »).  Ne sommes-nous pas appelés à le reconnaitre à nouveau, dans tous les dévouements, les solidarités, les attentions, les « retours à l’essentiels » dont nous sommes aussi bien témoins qu’acteurs ?

    Mais il disparut à leurs regards
Ça aurait été si « simple » pour les disciples que Jésus reste et reprenne sa mission ! mais non, c’est à eux de la poursuivre ! Pour nous aussi, jour après jour, l’incertitude et l’inattendu de demain sera le nouveau moment pour réapprendre encore et encore à reconnaitre le Christ, l’écouter et en être signe pour nos frères, que nous soyons un peu, moyennement complètement ou plus du tout confinés…

Il entra donc pour rester avec eux. Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »

    Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous ?
Ils réalisent combien les Paroles de Jésus, et l’éclairage sur leur vie les a mis en paix, en joie et a réveillé leur envie de vivre…  Puisse le temps passé à prier, lire les Ecritures, relire notre vie sous le regard bienveillant de Dieu nous donner de vivre davantage en paix, en vérité, avec nous-même et avec les autres ; d’accueillir et valoriser ce que cette situation nous donne aussi de bon à vivre, de redécouvrir… et d’agir en communion avec Lui, pour partager sa joie.

 

 

 

            À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.

Retour vers …
Se retourner, c’est… se convertir ! Les deux disciples reprennent confiance et ils repartent vers leurs frères, pour former l’Eglise naissante qui poursuivra l’œuvre de Jésus-Christ…
Et pour nous, quels « retournements », conversion sommes-nous appelés à accueillir chaque jour, pour ne pas nous replier sur nous même, ne pas céder à la panique, au désespoir, apprécier ce que nous avons la chance d’avoir encore, garder confiance dans le travail de l’Esprit en nous cœur, le contempler, et murmurer en toute situation « A quoi m’appelles tu Seigneur » ?

    En ces temps où nous ne pouvons pas nous rassembler pour célébrer l’eucharistie, cet évangile (que certains biblistes qualifient de « catéchèse eucharistique ») vient bienheureusement nous rappeler que celle-ci n’est pas un acte de piété isolé (« en soi ») : elle n’a de sens que reliée à toute notre vie, relue sous l’éclairage de la Parole du Seigneur, et alors elle peut en être « le sommet ». La célébration de l’eucharistie ne s’accomplit pleinement que si elle est source pour nous d’une conversion, comme pour ces disciples qui retournent vers leurs frères, pour former l’Eglise naissante, qui va poursuivre l’œuvre de Jésus chaque jour.
    Ainsi, ne pas pouvoir célébrer l’eucharistie ne nous condamne pas à ne pas avoir de « vie eucharistique », et c’est peut-être même l’occasion d’en redécouvrir la profondeur, le quotidien,  l’étendue
    Soyons attentifs et ayons faim de profiter des autres moyens, évoqués ci-dessus (fréquentation gratuite de la Parole, relecture de nos journées sous Son regard bienveillant, regards attentifs à ce (ceux !) qui nous entoure, échanges entre nous, Paroles (et silence !) vers Lui en retour…). Cela nous aidera à nous tenir dans ce mouvement de la vie eucharistique, mouvement de Pâques dans le don confiant de nous-mêmes, et traversée sans cesse renouvelée de notre baptême, conversion permanente…
    Ainsi, chaque fois que nous sommes sollicités, dérangés, à chaque nouveau défi, nous passeront comme le Christ de « on m’arrache… » à « je donne » (mon temps, ma patience, etc ! …) et nous pourrons dire avec le Lui « ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne, cette vie que j’ai reçue du Père » (voir Jean 15 et suivants).
    Comme Lui, par nos actes, nous annoncerons le Royaume qui vient, et nous rendrons Grâce au Père en lui offrant ce que nous sommes (voir Romain 12,1).
Ainsi, le peuple dispersé que nous sommes devenus continuera de « faire Eglise », même si nous avons hâte de nos retrouver pour vivre avec nos corps ce Mystère qui fait de nous Son Corps !