Témoignage d’ici : Aumônier en prison

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A l’exemple de saint François d’Assise, la spiritualité franciscaine m’apprend à chercher l’empreinte et les traces du Créateur dans chacune des créatures, fût-elle la plus blessée. La prison où je suis aumônier est la matrice privilégiée où j’expérimente cette recherche, en chaque personne, en particulier dans la plus défigurée, des traces du Créateur : quoi qu’elle ait fait, elle est et demeure fils ou fille de Dieu. Même ce qu’elle a commis ne peut détruire sa véritable identité d’homme et d’enfant de Dieu. Je peux alors découvrir en elle une réalité nouvelle bien plus vaste qu’un simple regard « mondain ». Cette personne peut être alors illuminée par toutes les étincelles de vie de son Créateur dont elle porte les traces.

C’est dans l’intimité de mon Seigneur que j’apprends à m’émerveiller des personnes et des choses. C’est l’Esprit du Christ qui éveille en moi ce regard christique et ce regard de foi.

La visite en détention, dans les cellules où je suis invité, me permet également ce chemin magnifique quoiqu’exigeant. C’est à chaque fois une aventure, un événement pour la personne détenue comme pour moi-même. Je ne sais jamais ce qui va se passer. Peut-être une rencontre où Dieu peut passer. C’est pourquoi mes rencontres sont davantage de l’ordre d’une visitation que d’une visite : je peux y vivre une qualité de relation que j’aimerais expérimenter davantage à l’extérieur de la détention… Comme Marie et Élisabeth dans l’Évangile, parce qu’elles sont porteuses, l’une comme l’autre, du meilleur d’elle-même, Marie de Jésus, et Elisabeth de Jean-Baptiste, elles offrent à l’autre cet espace où peut se révéler la face lumineuse et étoilée de leur être. Et ça tressaille au-dedans d’elles. ça tressaille au-dedans de moi quand je fais une telle expérience dans mes relations.

Cette visitation me fait devenir le prochain de celui qui a désiré cette rencontre avec moi. Partageant la même humanité, cette rencontre en prison fait cohabiter nos deux faces trop humaines et parfois si ténébreuses d’une part, et nos faces lumineuses d’autre part. C’est avec ces deux faces que je marche sur le chemin de la sainteté.

J’apprends, jour après jour, à voir en toute personne quelqu’un créé à l’ « image » du Créateur, le Christ. Je désire contempler cette « image ». Je peux alors devenir fraternel, admiratif, respectueux, bienveillant et plein d’espérance face au devenir du monde des hommes et des femmes, alors même qu’ils sont défigurés par leurs histoires de blessures. Combien j’ai vu d’hommes que la justice condamne pour des actes les plus odieux qui soient ! Mon attitude ne peut pas être qu’une simple sympathie naturelle pour telle ou telle personne, ou pire, un dégoût devant untel qui a abusé de si longues d’années d’un enfant, en lui dérobant son innocence à jamais. Mais, dans cette personne, compagnon de ma propre humanité, je suis appelé à découvrir la trace, l’empreinte du Créateur, le bien, le beau, le bon, que même ce qu’il a commis n’a pas pu détruire. C’est probablement enfoui dans les violences qu’il a subies dans son enfance, dans une culpabilité massive, dans un déni, devant lequel je reste complètement démuni. Mais cette image de Dieu, en son visage, est appelée à être révélée par tel ou tel, par l’aumônier que j’essaye d’être, un peu comme le révélateur des photos argentiques du siècle dernier… Sans doute n’a-t-elle encore jamais été révélée ? Parce que les conditions pour qu’elles le soient ne sont pas encore advenues.

« N’attends pas que l’autre soit meilleur pour l’aimer, car il attend d’être aimé pour devenir meilleur ! 1»

Cette phrase d’un de mes frères franciscains est devenue un vrai repère dans ma vie d’homme et de frère.

Naturellement, cette attitude de foi ne signifie pas fermer les yeux devant tout ce qui est négatif, et encore moins justifier l’injustice et le mal qui habitent le monde et le cœur de tout un chacun. Le monde n’est pas une réalité absolument bonne. Il reste toutefois vrai que l’attitude fondamentale envers le monde, de la part de celui qui a la foi (en Dieu et/ou en la vie), reste celle d’une bien-veillance : bien veiller sur mon plus proche est devenu une priorité. Une telle attitude désire prendre soin de l’autre, fût-il le plus défiguré. Parce que telle fut l’attitude du Christ lui-même.

Benoît Dubigeon

1 Michel Hubaut, La voie franciscaine, Éditions Desclée de Brouwer, 1986.